Interview Peter Couchman

01 Jul 2015

Peter Couchman est directeur général de la Plunkett Foundation, qui promeut les collectivités rurales à travers la propriété coopérative et collective depuis 1919. Il interviendra lors de la Conférence mondiale de l’Alliance qui se tiendra à Antalya, en Turquie, au cours de laquelle nous nous concentrerons sur la gouvernance coopérative. Dans cette interview, il parle de la situation du secteur coopératif ainsi que des défis et des opportunités à l’horizon 2020.

eDigest: L'ONU informe que 54% de la population mondiale, vit dans des grandes villes, et que ce chiffre atteindra 66 % d’ici 2050. Qu’est-ce que cela implique pour les collectivités rurales ? 

Peter Couchman : Malgré cette tendance démographique, ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’au cours de la prochaine décennie, voire plus, il y aura plus de trois milliards de personnes environ qui vivront en zone rurale. On parle donc toujours d’un nombre considérable de personnes dans le monde qui vivent dans ces zones et qui représentent donc une opportunité coopérative. Avec le flux grandissant des ressources qui se dirigent vers les villes, ces personnes se retrouveront toujours plus dans une situation où les gouvernements ou le secteur privé ne seront plus en mesure de répondre à leurs besoins.

La deuxième chose repose sur le fait que non seulement ces trois milliards de personnes vivant en zone rurale comptent, mais ce sont aussi celles qui produisent des aliments pour les autres. Par conséquent, les interactions entre le monde rural et urbain gagneront toujours plus en importance tandis que nous tenterons de nourrir une population mondiale croissante. L’idée selon laquelle les zones rurales ne comptent pas est une idée que nous devons contester.

Du point de vue de Plunkett, ces changements urbains créeront assurément une occasion en or pour nous, tant que nous pourrons utiliser le bon langage et les bonnes approches pour développer les coopératives et concrétiser ces idées.

L’un de nos défis consiste à rendre les solutions coopératives pertinentes aussi bien pour les zones urbaines que rurales. En réalité, notre mouvement a souvent tendance à parler de l’étendue et du succès de ses coopératives de très grande taille dans ses communiqués, ce dont nous devrions être fiers, mais bien souvent, nous n’informons pas les gens sur les moyens dont ils disposent pour s’impliquer dans les coopératives. En fait, si vous examinez la façon dont le mouvement se présente, il est très rare que ce dernier affecte d’importantes ressources au fait de suggérer que des gens ordinaires puissent trouver la solution à leurs problèmes quotidiens en formant et en appartenant à des coopératives. Nous avons tendance à nous définir en tant qu’institutions plutôt qu’en tant que solutions.

eDigest: Les gens vivent plus longtemps et en meilleure santé… Qu’est-ce que cela implique en termes de participation ? Les seniors disposeront-ils de plus de temps pour participer à la collectivité et avoir un impact sur cette dernière ? 

Peter Couchmann : Nous devons reconnaître que le mouvement a abordé et discuté de la question relative à l’implication des jeunes et qu’il reste encore beaucoup de travail à faire de ce côté, mais désormais, nous avons probablement besoin de mettre en place des efforts similaires pour tenter d’attirer les seniors. Bien entendu, un grand nombre de coopératives ont des membres d’un certain âge ; la moitié du travail est faite de ce côté. Premièrement, d’après notre expérience chez Plunkett, il ne s’agit pas seulement de gens qui passent leur vie au sein du mouvement. La majorité des gens avec lesquels nous travaillons sont souvent ceux qui approchent de la retraite, n’ont jamais été impliqués dans une coopérative auparavant et doivent par conséquent justifier cette participation pour la première fois. Cette justification est manifestement renforcée par le fait de considérer les coopératives comme des solutions aux problèmes auxquels ils sont confrontés.

Deuxièmement, une population vieillissante présente également des défis pour le gouvernement, dont le plus important concerne les coûts relatifs à la santé. En vieillissant, s’occuper de nous devient plus cher, et nous serons toujours plus nombreux. Par conséquent, les vieilles méthodes selon lesquelles le secteur public ou privé dirigeait les soins de santé destinés à traiter les personnes étant tombées malades ne fonctionneront tout simplement pas dans ce contexte.

La seule solution consiste à avoir une collectivité qui se charge de garder tout le monde en bonne santé, et nous pourrions jouer un rôle très important là-dedans. Nous le voyons déjà avec, par exemple, les personnes qui font du bénévolat auprès de coopératives dans les collectivités rurales et qui sont en mesure d’exprimer l’impact qu’a leur implication sur leur bien-être physique. Nous aimerions que cette solution gagne du terrain. 

eDigest: Les outils numériques sont souvent désignés comme étant un frein au potentiel d’amélioration de la participation, à l’instar de Loomio. Quels exemples concrets ou quelles méthodes concrètes pourrait-il y avoir à ce sujet ? 

Peter Couchman : En réalité, la plupart de nos structures ont été conçues pour fonctionner il y a plusieurs centaines d’années de cela, dans un monde au sein duquel il était assez difficile pour les gens d’interagir entre eux s’ils ne se trouvaient pas face à face. Je pense qu’il y a deux éléments qui vont façonner le mouvement, si ce mouvement reste pertinent à l’avenir. Le premier est sans aucun doute la participation démocratique. 

Les gens voudront avoir leur mot à dire de différentes manières à l’avenir et avoir la possibilité d’être informés de façon régulière sur les activités de leurs élus plutôt que de se contenter de voter aux élections. Les coopératives doivent réfléchir à ce que cela signifie pour elles, et au rôle que revêt l’adhésion lorsque le membre est à même d’interagir avec la coopérative de façon constante, plutôt qu’occasionnelle. 

La deuxième chose, c’est de savoir sur quelle technologie émergente nous devrions miser. Nous sommes souvent longs à la détente et les entreprises s’intéressent à ces modèles bien avant nous. Au XIXe siècle et au début du XXe siècle, le mouvement était extrêmement doué pour adapter rapidement les nouvelles technologies au profit de la coopérative, tandis que de nos jours, il se peut que nous ayons un train de retard à ce sujet.

eDigest: Certaines personnes soutiennent que la Chine et l’Inde gagneront en importance en tant que partenaires commerciaux directs et que ces pays regorgent de coopératives. Mais ces dernières sont légèrement différentes des coopératives anglaises. Nous pensons qu’elles sont beaucoup plus étroitement liées aux gouvernements. Pensez-vous qu’elles pourraient également servir de modèle de démocratie dans ces pays ?

Peter Couchman : L'Asie ne va pas se contenter de copier les modèles de développement occidentaux, mais il existe une chance qu’ils mettent en place une véritable approche coopérative. Je pense que les coopératives ont un vrai rôle à jouer pour informer les gens de ce qui se passe lorsque l’on libéralise simplement un marché sans contrôler le secteur privé. Le meilleur modèle coopératif peut associer des orientations très claires aussi bien au niveau national que communautaire, à un engagement et à une inspiration sincères de la part des personnes qui y participent. Je pense que nous devrions voir une évolution des modèles coopératifs en Asie, mais basé sur ce qui est déjà là et le renforcement de ces atouts. Je pense que la coopération dans ces pays sera différente mais il y a une réelle opportunité pour qu'il soit un véritable exemple pour nous, si elles peuvent répondre correctement à la question de participation.

eDigest: Le sommet des Nations unies aura lier le 24-27 de Septembre 2015. L’ONU établit aussi son programme de développement, dont l’un des objectifs est d’être plus local. Une chance pour les coopératives locales ? 

Peter Couchman : Il est d’une importance vitale de prendre part aux questions internationales. Je pense que le plan d’action de l’Alliance constitue une étape essentielle pour le mouvement en termes de programme définissant très clairement les objectifs à atteindre.

Le défi qui se posera à nous avec ces agences de l’ONU tourne précisément autour du fait qu’elles disposent de ce que nous avons peut-être perdu en cours de route ; elles commencent à penser de façon locale. Par conséquent, en tant que mouvement, notre défi, lorsque nous nous trouverons autour de ces tables, sera de réfléchir à ce que nous offrons à travers nos modèles de participation active, si nous nous contentons de parler de nos 300 meilleures coopératives et de leur succès, ce qui ne va pas vraiment aider le programme local. Je pense donc que nous sommes arrivés à un point où il faut accorder de l’importance aux gens sur le terrain lançant de très petites coopératives qui influencent grandement leurs collectivités, et c’est ce dont ces acteurs internationaux souhaitent entendre parler.

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