Les coopératives sont des acteurs du commerce international : un entretien avec le Centre du commerce international (ITC)

11 Dec 2020

Depuis un an, l’ACI s’emploie à déterminer avec le Centre du commerce international (ITC) à Genève quels pourraient être leurs domaines de collaboration potentiels. L’ITC a participé à ce titre à un événement en ligne intitulé « The Coop way: how cooperatives practice, protect and promote human rights in value chains », qui a été organisé le 10 décembre à l’occasion de la Journée internationale des droits de l’homme par le Groupe de réflexion international sur l’entrepreneuriat coopératif (ICETT) de l’ACI. Pour consulter notre compte rendu de ce webinaire, cliquez ici.

Santosh Kumar, coordinateur de la législation de l’ACI, a interrogé Anne Chappaz, directrice de l’unité de renforcement des partenariats institutionnels de l’ITC, et ses collègues Aman Goel, expert du développement institutionnel, Niti Deoliya, consultante internationale, et Annegret Brauss, administratrice de programme adjointe, concernant leur travail et le rôle de la coopération dans les échanges commerciaux.

Notre entretien sera publié à l’occasion de la Journée internationale des droits de l’homme cette année. Selon vous, quel rôle pourraient jouer les coopératives dans la protection des droits de l’homme et la promotion de la transparence dans les chaînes de valeur et pourquoi pensez-vous qu’elles pourraient l’assumer ?

Annegret : Les coopératives ont un rôle important dans la protection des droits de l’homme et la promotion de la transparence dans les chaînes de valeur. Ce rôle potentiel peut être même encore plus important en raison de leur double fonction, à savoir un rôle de soutien aux entreprises et un rôle d’entreprise commerciale. Les coopératives sont idéalement placées pour rapprocher les intérêts des différents acteurs à chaque stade des chaînes de valeur internationales, du producteur à l'acheteur international, et peuvent ainsi contribuer à générer des changements à différents niveaux. Elles peuvent également servir d’exemple en veillant à l’application de bonnes pratiques, en particulier dans le respect du droit du travail, l’égalité des genres et l’autonomisation des jeunes.

Quelle est la mission de l’ITC ?  

Anne : L’ITC a été créé en 1964 à Genève en Suisse. Il s’agit d’une agence conjointe de l’Organisation des Nations Unies et de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Elle aide les PMME des pays en développement et en transition à accroître leur compétitivité et à se rapprocher des marchés internationaux pour faciliter les échanges commerciaux et les investissements. Elle axe ses efforts sur la création d'un environnement politique favorable et d’écosystèmes visant à aider les PMME à accroître leur compétitivité dans les chaînes de valeur internationales Elle contribue à la réalisation de tous les Objectifs de développement durable (ODD), notamment l’ODD 8, le travail décent et la croissance économique.

Considérez-vous que les coopératives jouent un rôle important dans les activités commerciales et les affaires ?

Niti : L’ITC considère que les coopératives sont des organisations hybrides, entre l’institution et l’entreprise. Comme elles sont résilientes dans les situations de crise, elles sont perçues comme des partenaires fiables. De plus, les coopératives ont beaucoup de membres, ce qui permet d’atteindre les objectifs requis en rayon d’action et en chiffres. C’est un gage de traçabilité et de responsabilité pour nos acheteurs et nos exportateurs. Les coopératives peuvent également contribuer à diversifier les chaînes de valeur, en participant à la réalisation des ODD en tant qu’entreprises œuvrant dans l’intérêt de leurs membres.

Comment est-ce que l’unité de renforcement des partenariats institutionnels de l’ITC collabore avec les coopératives ?

Anne : Les experts de mon équipe ont pour mission de renforcer les capacités de base des principales organisations de l’écosystème du commerce et de l’investissement, ce qui englobe l'élaboration de leur stratégie et le suivi et l’évaluation de leurs performances, pour qu’elles puissent mieux répondre aux besoins de leurs clients. Ces dix dernières années, nous avons soutenu plus de 500 institutions dans une cinquantaine de pays qui décuplent l’impact de nos programmes d’aide. Nous avons élargi cette offre aux coopératives ces cinq dernières années, car nous ne considérons pas seulement les coopératives comme des entreprises mais également comme des institutions qui fournissent des services à leurs membres. Par conséquent, beaucoup de concepts liés au renforcement des capacités institutionnelles sont également valables pour les coopératives. Les retours de nos partenaires, y compris des responsables de projet, des donateurs et des coopératives elles-mêmes, sont très encourageants.  

Aman : Pour vous donner un exemple, nous travaillons avec des exportateurs d’épices et la Tanzania Spices Association. Ce partenariat qui a été noué avec des coopératives offrent aux exportateurs un approvisionnement fiable de matières premières et un lien régulier avec un grand nombre de producteurs. Pour la Tanzania Spices Association, cette collaboration avec des coopératives (en tant que membres de l’association) a été bénéfique sur le plan de la formation et de la gestion des membres. 

Anne : Cette collaboration a pour objet d'établir une approche commune dans le renforcement des capacités institutionnelles des coopératives agricoles afin d’accroître leur potentiel commercial. Elle permet en particulier de soutenir le district de Muheza en Tanzanie.

Anne et Niti : La coopérative est un modèle viable pour les agriculteurs, car il leur permet de s’associer, de partager les risques et de renforcer leur pouvoir de négociation. Compte tenu de la résilience du modèle coopératif face aux chocs externes, nous sommes convaincus du rôle crucial des coopératives dans les crises socioéconomiques et de leur capacité à continuer d’offrir des solutions pour lutter contre la pauvreté et les inégalités socioéconomiques croissantes.

ITC staff and directors with the ICA's Santosh Kumar
Les personnes interviewées avec les membres du personnel de l'ICA et le directeur de l'ITC pour la Division des programmes de pays, M. Ashish Shah

Comme est-ce que la collaboration avec l’ACI a commencé ?

Anne : Notre équipe s’est rapprochée de l’ACI en 2019 à l’occasion de notre participation à la Conférence mondiale de Kigali au Rwanda. Depuis cet événement, nous entretenons des liens et recherchons des moyens de collaborer et de mener des projets en commun avec des coopératives.

Nous considérons que les coopératives sont importantes et que ce modèle est en adéquation avec les objectifs de l’ITC. Les coopératives nous aident à atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés en rayon d’action et en chiffres, en raison de leur nombre important de membres, de rentabiliser nos projets, de fournir des informations approfondies sur la conception de projet et d'établir des liens plus étroits pour évaluer notre impact. Elles ont également un potentiel immense pour décupler l’impact de l’action visée et l’impact des ODD en garantissant des moyens d’existence durables et des bénéfices qui y sont associés (éducation, santé, intégration des questions de genre, etc.). Face aux difficultés supplémentaires, telles que la pandémie, les inégalités mondiales croissantes et le risque climatique, les principes et les valeurs du mouvement coopératif, qui ont fait leurs preuves, concordent avec l’approche de l’ITC, de nos partenaires et de nos bénéficiaires. 

Quel type de soutien et d'assistance technique offrez-vous aux coopératives ?

Niti et Anne : L’ITC peut fournir une assistance technique sous la forme suivante :

·  Sensibilisation : Nous offrons une évaluation ciblée à l’aide de notre outil d'évaluation des coopératives. Ses résultats peuvent être présentés aux responsables des coopératives et peuvent servir à élaborer des plans sur mesure de renforcement des capacités.

·  Renforcement des capacités : Nous pouvons accompagner les coopératives en leur proposant une série d’actions de renforcement de leurs capacités. Cela peut consister à renforcer l’activité commerciale en organisant des formations sur le conditionnement, la valorisation de marque et l’accès aux ressources financières. Sur le plan institutionnel, les coopératives peuvent ainsi améliorer leur leadership, leur gouvernance, leur communication avec leurs membres, etc. Dans le cadre de ces actions, nous associons travaux de groupe et séances individuelles de coaching. 

·  Transfert de connaissances : Nous proposons un accompagnement en matière de partenariats avec des coopératives de grande envergure, dont les activités sont couronnées de succès, pour offrir les meilleures pratiques de gestion des coopératives.

·  Renforcement de l’écosystème : Nous pouvons apporter un appui pour favoriser l’émergence d’un écosystème institutionnel adapté pour les coopératives. Nous pouvons identifier les institutions pertinentes, repérer leur offre de services et améliorer les performances des institutions qui travaillent avec les coopératives.

·  Relations avec le marché : Nous pouvons faciliter les partenariats avec d’autres coopératives et des entreprises mondiales pour favoriser le développement de relations commerciales directes avec les coopératives qui bénéficient de ces actions.

·  Inclusion : Beaucoup de coopératives sont gérées exclusivement par des femmes. Nous pouvons concentrer nos efforts sur les collaborations avec ces coopératives pour renforcer leurs capacités, en proposant également de tirer profit de l’initiative SheTrades de l’ITC.

Comment fonctionne l’outil d'évaluation de l’ITC pour les coopératives primaires ? Quel est l’intérêt de notre collaboration dans ce domaine ?

Niti : L’outil d'évaluation est un modèle basé sur la maturité des coopératives qui analyse leurs performances à partir de plus 86 indicateurs et repère leurs points forts et leurs points faibles. Cela permet de définir des domaines d'action prioritaires, des objectifs et des plans d’amélioration. Depuis 2019, nous avons évalué trente coopératives dans six pays et nous avons reçu des retours positifs de nos membres.

Les résultats sont communiqués dans un rapport d'évaluation qui répertorie les notes des coopératives. Cet outil dispose de fonctionnalités pour obtenir des résultats détaillés, comparer des résultats par rapport aux meilleures pratiques et générer des graphiques simples à interpréter. Il fournit une synthèse des atouts, des freins et des points à améliorer pour ces coopératives et inclut des recommandations sous la forme d’un plan d’action. 

Quel rôle peuvent jouer les coopératives primaires et secondaires dans le commerce international ?

Aman : Compte tenu des menaces que cette pandémie fait peser sur les filières, on estime au niveau mondial qu’il est encore plus nécessaire qu’avant de déployer des canaux et d’intensifier les investissements pour bâtir des réseaux plus robustes qui facilitent l’accès des exploitants agricoles aux marchés. Nous sommes convaincus que la collaboration peut offrir aux coopératives primaires et secondaires les moyens de devenir des acteurs essentiels en encourageant l’esprit d’entreprise, le développement d'activités, la création d’emplois et l’autonomisation des femmes.

L’ITC et l’ACI pourraient renforcer ensemble ces partenariats entre coopératives aux niveaux primaire et secondaire pour faciliter les échanges commerciaux intercoopératifs.

L’ACI organise son 33e Congrès mondial des coopératives en 2021. Que pensez-vous du thème « Approfondissons notre identité coopérative » et comment aimeriez-vous contribuer à cet événement ?

Anne : Nous félicitons l’ACI qui organisera ce 33e Congrès mondial des coopératives dont le thème entre dans notre champ d’action. Les composantes de l’identité coopérative, à savoir les principes et les valeurs coopératifs, sont des éléments essentiels à leur réussite. Nous veillons tout particulièrement à ce que les coopératives avec lesquelles nous collaborons respectent l’identité coopérative dans leur activité.

L’ITC sera ravi de contribuer à ce Congrès. Nous pouvons concentrer nos efforts dans les domaines suivants qui nous semblent essentiels :

·  Analyser le modèle coopératif comme un modèle hybride entre l’institution et l’entreprise

·  Proposer les meilleures pratiques pour renforcer la dimension institutionnelle des coopératives

·  Définir des approches en matière de renforcement des échanges commerciaux entre coopératives pour établir des relations commerciales résilientes

·  Déterminer comment les coopératives pourraient collaborer avec les coopératives de jeunes et de femmes

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