Avec le soutien du programme ICA-UE #coops4dev?, la chercheuse Sara Vicari et le réalisateur Andrea Mancori se sont lancés dans un voyage autour du monde afin de visiter et documenter des exemples de coopératives parmis les plus inspirants de différents secteurs économiques, sous la forme d'une série de courts métrages. Ce projet fascinant s’appelle aroundtheworld.coop.
Sara Vicari et Andrea Mancori participeront au Coop Cinema de notre Conférence mondiale "Coopératives pour le développement" le 15 octobre, aux côtés de plusieurs intervenants, et une sélection de leurs documentaires sera présentée pendant cette session.
Vous avez démarré le projet aroundtheworld.coop en janvier 2019. Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce projet ? Quel est son intérêt pour le mouvement coopératif ? Qu'est-ce que ce projet signifie pour chacun d'entre vous ?
Tout a commencé un jour de janvier 2018 où Andrea est rentré chez nous des projets plein la tête. Il était temps de changer et nous avions envie de nous investir davantage dans notre projet de vie et dans la société alors que les mauvaises nouvelles se succédaient dans l'actualité. Nous vivons à une époque très complexe, comme tout le monde peut le constater, qui est caractérisée par des problèmes d'ampleur mondiale, mais nous y répondons trop souvent de façon binaire par des réponses trop simples. Dans beaucoup de pays, y compris dans le nôtre, les valeurs de solidarité, d'entraide et de générosité qui sont défendues par des initiatives de la société civile pour résoudre ces problèmes complexes sont critiquées par un discours de propagande. Il s'agit, selon certaines personnes de valeurs obsolètes ou, même pire, de valeurs artificielles qui n'ont pas leur place dans une société dont les valeurs centrales sont exclusivement l'égoïsme et l'avidité. Les ONG et les coopératives font par exemple l'objet de critiques alors qu'elles essayent de répondre aux problèmes des hommes et de femmes qui quittent leur pays pour trouver de meilleures conditions de vie, ici en Europe ainsi qu'aux États-Unis. On peut également citer comme autre exemple les critiques à l'encontre des actions collectives de groupes de défense de l'environnement et de la planète, qui entraînent l'assassinat de nombreux leaders de mouvements sociaux et la criminalisation de leurs organisations. Dans cette démarche de propagande, il n'est pas compliqué de trouver une faille, comme celui des fausses coopératives, et de considérer que cette situation est représentative alors que des milliers d'autres expériences d'action collective sont couronnées de succès partout dans le monde.
Toutefois, nous savons que des citoyens montent des projets d'action collective inspirés de ces valeurs positives dans le monde entier et élaborent leurs propres solutions pour transformer leur territoire et faire évoluer la société. Nous savons également parfaitement que les coopératives font souvent partie de la réponse, en donnant à leurs membres les moyens d'améliorer leurs conditions de vie et celles de leurs familles et de leur entourage.
Par conséquent, nous avons décidé de nous lancer un défi et de faire notre part en montrant que notre monde est plus positif que ce que les médias traditionnels et la plupart des politiciens veulent nous faire croire. Nous avons donc eu l'idée d'associer nos compétences professionnelles respectives. Andrea est réalisateur et je poursuis des travaux de recherche sur l'action collective des coopératives depuis maintenant près de quinze ans. Ensemble, nous nous sommes dit que nous pourrions essayer de contribuer à faire évoluer le discours sur la façon dont les citoyens parviennent à trouver des solutions innovantes aux problèmes d'ampleur mondiale en menant des actions collectives. Nous avons alors décidé de nous lancer dans un projet bénévole d'un an et de vivre une expérience exaltante en faisant un tour du monde ! Heureusement, l'Alliance Coopérative Internationale, et en particulier le programme Coops4dev, a cru en ce projet ambitieux et nous a permis de transformer ce rêve en réalité.
Aroundtheworld.coop est notre projet un peu fou : contribuer à notre échelle à apporter un peu de lumière dans cette période plutôt sombre de notre histoire. C'est également le début d'un nouveau projet d'action collective entre nous et un groupe d'autres personnes qui ont cru en lui et qui veulent faire avancer les choses tous ensemble en continuant de faire connaître des initiatives positives et encourageantes.
Vous avez adopté une méthodologie bien particulière dans votre travail. Pouvez-vous nous en dire plus ? Pourquoi avez-vous décidé d'adopter cette méthodologie ? Comment pouvez-vous rendre compte de son efficacité ?
Comme je l'ai dit, notre ambition au départ n'était pas simplement de réaliser des reportages vidéo sur des coopératives. Il ne s'agit pas de vidéos institutionnelles. C'est un point que nous expliquons toujours très clairement lorsque nous contactons une coopérative. Notre ambition est de réaliser une vidéo en partenariat avec les membres des coopératives en leur laissant leur mot à dire sur l'angle à adopter dans ce reportage et sur les principaux éléments du récit à mettre en avant.
Nous voulions aussi que nos vidéos puissent être utilisées par le plus grand nombre possible de coopérateurs, de citoyens, mais également de formateurs, de praticiens et de responsables politiques œuvrant dans le domaine du développement. C'est pourquoi nous utilisons dans nos reportages un discours qui permet à chacun de s'identifier tout en abordant des sujets d'actualités à propos de l'essor des coopératives de manière simple et informelle.
Avant de filmer, nous organisons ainsi des réunions thématiques au cours desquelles les membres peuvent discuter du fond du sujet et de la trame de notre reportage. Il faut au moins une semaine pour filmer les activités et nous avions l'habitude de dire que nous serions comme une mouche dans une pièce en essayant d'adopter une présence aussi naturelle et la moins gênante possible.
Cette approche nous a paru adaptée une fois les premiers reportages terminés puisque les spectateurs nous ont dit qu'ils se sentaient plongés en immersion avec les membres des coopératives. C'est le meilleur compliment que nous pouvions espérer !
Grâce à cette méthodologie, vous avez appris à connaître progressivement chaque coopérateur et vous avez rencontré jusqu'à présent des coopérateurs dans sept pays différents. Pouvez-vous nous parler d'une de vos rencontres les plus mémorables ?
Aujourd'hui, le 28 août 2019, nous terminons notre dixième étude de cas au Brésil et nous allons bientôt lancer nos deux derniers projets sur place avant de rentrer à Rome et nous rendre ensuite à Kigali pour l'Assemblée générale de l'ACI au Rwanda. Le temps passe très vite et c'est incroyable car nous sommes presque à la fin de cette aventure ! Nous avons eu véritablement de la chance de faire autant de rencontres exceptionnelles de personnes courageuses qui possèdent de fortes personnalités et une grande profondeur d'âme. Elles possèdent cette flamme intérieure si caractéristique des personnes qui ont la force de soulever des montagnes, en ayant foi dans l'humanité et dans le collectif, et qui y sont parvenus. Nous avons rencontré des hommes et des femmes très solides que nous n'oublierons jamais. Il est difficile de choisir une seule personne, car nous avons rencontré partout dans le monde des coopérateurs inoubliables et, honnêtement, nous rêvons de réussir à réunir un jour toutes ces personnes dont l'énergie positive, une fois rassemblée, pourrait être explosive !
Pourriez-vous nous donner un exemple de projet qui met en lumière les capacités d'action des coopératives ? Quelles sont les répercussions sur la vie quotidienne des coopérateurs ? Quels sont leurs effets sur l'environnement local ?
Un jour, à Sydney, nous participions à une réunion avec des coopérateurs australiens et nous diffusions nos vidéos. Au cours du débat, une personne a expliqué qu'elle comprenait bien que les coopératives pouvaient jouer un rôle efficace dans les pays en développement mais qu'elle se demandait si c'était aussi le cas dans les pays développés. Pour cette personne qui ne connaît sans doute pas très bien le mouvement, les coopératives ne peuvent pas transformer la société dans les pays plus développés. Quelques jours plus tard, nous étions en Californie pour réaliser un reportage sur The Cheese Board Collective, une coopérative de travailleurs totalement horizontale, qui n'a pas de conseil d'administration ni de président et qui est composée de 65 membres qui mettent en pratique le principe d'un salaire égal pour un travail de valeur égale et d'une prise de décision participative authentique. Ces travailleurs bénéficient d'une capacité d'action incroyable et d'avantages qu'il serait impossible d'obtenir ailleurs dans le secteur de la restauration aux États-Unis. Ils expérimentent dans le même temps des conditions de travail véritablement démocratiques. The Cheese Board constitue un modèle de réussite dans la ville de Berkeley qui perdure depuis 52 ans. Nous venons de terminer le montage de ce reportage et nous avons véritablement adoré ce projet qui nous a beaucoup inspirés !
Michael, l'un des membres de cette coopérative qui a retenu notre attention pendant notre aventure, nous a expliqué ceci : « le plus puissant des messages, c'est de créer la société dans laquelle nous voulons vivre et non pas simplement d'en parler ». Dans toutes ces coopératives, nous avons retrouvé cet esprit révolutionnaire consistant à créer la société dans laquelle les gens veulent vivre et à transformer une utopie en réalité. Cet esprit pragmatique permet d'obtenir des résultats incroyables en transformant la société sur les cinq continents !
Tous les jours, nous pensons aux paroles de Michael, à cette flamme dans son regard ainsi que dans celui de tous les autres coopérateurs que nous avons rencontrés et à toutes ces expériences coopératives incroyables.
Dans toutes les aventures, tout ne se déroule pas comme prévu. Quelles difficultés avez-vous rencontrées et comment les avez-vous surmontées ?
Les voyages autour du monde sont des expériences fabuleuses, mais qui ne sont pas simples. Comme nous avons l'habitude de le dire, il y a l'aventure dans l'aventure. Il est essentiel de planifier son programme et d'anticiper les risques. Nous devons remercier notre équipe, Cécile Berranger, Veronica Boggini, Flavio Luciani, Federico Vicari et Yuri Manuel D’Amore, qui a facilité toute l'organisation de ce projet. Nous avons également bénéficié de l'aide essentielle des bureaux régionaux et mondiaux de l'ACI ainsi que du soutien des mouvements coopératifs locaux. Nous avons rencontré quelques difficultés, ce qui est habituel dans un voyage. Nous n'avons pas toujours été en pleine forme et pris du temps que notre corps s'adapte au nouvel environnement dans lequel nous nous trouvions. Les responsables des coopératives ont parfois eu des difficultés à comprendre notre projet et notre méthodologie, ce qui a compliqué et non pas simplifié notre démarche. Heureusement, cela n'a pas été souvent le cas. Pour surmonter ces obstacles, nous avons été résilients, ce qui est indispensable pour ce type de projet, et nous avons fait preuve de calme, de bienveillance envers nous-mêmes, envers l'un et l'autre et envers tous les autres. Nous avons appris à être extrêmement flexibles et à adapter continuellement notre programme. Nous avons aussi énormément tiré profit de notre attitude particulièrement optimiste dans toutes les situations, ce qui a sans doute été très utile !
Du 14 au 17 octobre, vous allez participer à la Conférence mondiale de l'ACI, « Les coopératives pour le développement ». Comment les coopératives contribuent-elles au développement humain durable ?
Pour répondre à cette question, nous allons vous faire part d'enseignements que nous avons tirés de cette aventure. Comment est-ce qu'elles y contribuent ?
Les coopératives peuvent :
- Fournir un cadre de travail commun aux migrants et aux ressortissants locaux, tout en les protégeant des organisations criminelles et en contribuant au développement inclusif et au travail décent, comme l'expérience « Casa di Alice » de Castel Volturno, en Italie, nous le montre.
- Contribuer aux évolutions culturelles, en transformant le regard qui est porté sur l'identité des peuples autochtones, comme le prouve l'exemple des coopératives d'artistes aborigènes en Australie, ou sur l'identité ou le rôle des travailleuses, comme nous l'avons constaté au Maroc, mais aussi au Népal et au Brésil ;
- Contribuer à l'éradication de l'esclavagisme de certaines populations, comme cela s'est passé au Népal et au Brésil.
- Être des leviers d'investissement responsable, comme le montrent les expériences incroyables de CoproritzNtende au Rwanda, mais aussi celles de The Cheese Board en Californie et des coopératives de production d'électricité au Costa Rica. Lorsqu'elles parviennent à trouver un modèle financier et économique efficace et une structure de gouvernance solide, les coopératives peuvent réinvestir les bénéfices excédentaires dans les domaines que leurs membres jugent prioritaires. Dans la plupart des cas, ces investissements ont des retombées positives sur l'environnement et sur le développement socio-économique de la population locale dans son ensemble.
- Être des leviers d'innovation, comme dans le cas d'Up&Go (ÉtatsUnis) qui représente un exemple fantastique de plateforme coopérative dont l'expérience pourrait inspirer de nombreuses coopératives dans le monde en montrant comment l'association de la technologie et du modèle coopératif peut ouvrir de nouvelles perspectives.
- Sensibiliser de manière précoce les enfants aux pratiques et aux principes coopératifs, comme cela est le cas en Malaisie (Koperasi MRSM Kepala Batas Berhad).
Dans tous ces exemples, les coopératives contribuent au développement humain durable et transforment les territoires dans lesquels elles sont implantées. C'est incroyable, non ? Nous sommes persuadés que nous aurons d'autres informations utiles à partager lorsque nous aurons terminé nos reportages sur les coopératives en Argentine et en Uruguay, qui sont nos deux prochaines destinations, ainsi que ceux sur les projets européens.
Lorsque la Conférence mondiale s'achèvera à Kigali, quelle sera l'étape suivante du projet aroundtheworld.coop ?
Tout d'abord, nous allons terminer ce projet que nous menons en partenariat avec l'ACI, en réalisant deux ou trois études de cas supplémentaires en Europe, en finissant le montage et en rédigeant un texte de présentation pour chaque reportage sur les coopératives. Il sera ensuite temps de partager ces expériences avec le plus grand nombre. Nous avons déjà pu exposer notre travail en Malaisie en présence de 500 coopérateurs, de responsables d'Angkasa et des ambassadeurs d'Italie et du Maroc, en Australie à l'occasion d'un dîner de rencontre entre des coopérateurs à Sydney et à New York où nous avons participé aux célébrations de la Journée internationale des coopératives au siège des Nations Unies. Plusieurs événements sont déjà programmés dans les semaines à venir, tels que la Conférence régionale d'ACI Amériques, qui sera sans doute une manifestation exceptionnelle ! Cependant, comme on peut l'imaginer aisément, ce n'est qu'un début pour nous. Nous avons, en dehors de ce projet, de nombreux autres rêves que nous souhaiterions réaliser. Nous conserverons cette approche qui s'avère efficace en y mettant notre cœur, notre passion et notre énergie, comme nous l'avons fait pendant ce tour du monde !
Quel serait le message que vous souhaiteriez transmettre à tous les citoyens du monde ?
Les coopératives sont des leviers efficaces qui ont toujours contribué à créer un monde meilleur. Ce n'est pas une utopie. C'est une réalité concrète. Nous dénonçons le discours nauséabond qui monopolise les médias et qui cherche à nous expliquer constamment ce qu'est l'action collective. Les coopérateurs savent parfaitement ce qu'ils sont. Leurs actions qui sont représentatives ont des retombées dans leur propre vie. Ils innovent, planifient et construisent ensemble la société dans laquelle ils veulent vivre. Continuez de faire connaître ces projets qui sont couronnés de succès partout dans le monde. Nous remercions les coopérateurs qui nous ont permis de vivre cette année d'immersion dans le monde merveilleux des coopératives !
aroundtheworld.coop en quelques photos
Nous avons choisi cette photo parce que c’était l’un des meilleurs endroits où nous avons organisé un FG (focus group), il y avait une ambiance incroyable.
Nous étions à Byron Bay, en Australie, la veille du jour où nous avons mené l’une des interviews les plus incroyables que nous ayons jamais eues. Au moment où nous avons pris la photo, nous avons eu une 'good vibe' incroyable, nous avons réalisé que nous étions dans le lieu le plus éloigné où nous avions jamais été, et nous avons voulu célébrer cela avec cette photo.
C'était le FG le plus insolite que nous ayons réalisé. Les membres du Cheese Board étant toujours très occupés, ils ont organisé un dîner de groupe. Nous avons beaucoup apprécié, c'était vraiment fun!
Le Costa Rica est un endroit incroyable de par la beauté de sa nature et ces habitants. À ce moment-là, nous filmions sur une fantastique plage sauvage où les tortues faisaient leur nid et la dame que nous filmions était leur protectrice. Juste incroyable :)
Découvrez les documentaires et lisez-en plus sur leur blog!