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Entretien avec Hyungsik Eum, auteur du deuxième rapport global sur "Les coopératives et l'emploi"

25 May 2018

Entretien avec Hyungsik Eum, auteur du deuxième rapport global sur "Les coopératives et l'emploi". Il est le nouveau coordinateur de la stratégie et des statistiques de l'Alliance coopérative internationale et l'analyste de données de CICOPA, l'organisation internationale des coopératives industrielles et de services.

Nous savons d'après un rapport de CICOPA que les coopératives fournissent des emplois à 10 % de la population active mondiale. Comment font-elles une différence au-delà de ce nombre?

Dans le deuxième rapport sur l'emploi (2017) nous avons estimé que les emplois créés dans les coopératives (travailleurs et travailleurs-membres) étaient d'environ 27 millions et que le nombre de personnes travaillant avec ou par l'intermédiaire de coopératives (principalement des coopératives de producteurs) s’élevait à 252 millions. Cela signifie qu'environ 10 % de la population active mondiale travaille dans ou à travers les coopératives. Cependant, cela signifie aussi que, dans la plupart des cas, les coopératives sont un outil pour leur propre travail et l’emploi plutôt qu’un lieu de travail où sont exécutés leurs principaux emplois.

Bien qu'il soit très difficile de formuler des déclarations générales au-delà des chiffres, selon nos observations et les informations disponibles, nous pouvons dire que « l'emploi coopératif tend à être plus durable dans le temps, souffre de moins d'inégalités de revenus, se caractérise par une meilleure répartition entre les zones rurales et urbaines et jouit d'un niveau de satisfaction et d’identification au travail supérieur à la moyenne. Les coopératives sont également un grand laboratoire où sont expérimentées des formes de travail innovantes et durables ainsi que des relations de travail originales au sein de l'entreprise ». (Document stratégique de CICOPA sur l'avenir du travail). Personnellement, j'ajouterais un point supplémentaire. Je dirais que les coopératives ont des manières et des sens différents d’appréhender le « travail ». Dans les coopératives de travail associé, les travailleurs-membres ont le sentiment d’être propriétaires de leurs propres emplois et de leurs lieux de travail. Concernant les travailleurs de différents types de coopératives, il est difficile de généraliser leur sens du travail mais j'ai constaté que dans les coopératives bien gérées, les travailleurs partagent plus de sentiments de famille ou d’amitié avec les autres membres de leur coopérative. Les producteurs-membres qui utilisent les coopératives pour leur propre compte ou leurs activités de production, appréhendent différemment le rôle des coopératives dans leur travail et leur emploi mais les coopératives donnent plus de sentiment d’appartenir à une communauté territoriale au-delà du travail et de l'emploi. (Plus de détails dans le premier rapport sur l'emploi, pp. 55-79).

Quelles sont les principales tendances susceptibles d'influer sur l'avenir du travail?

De nombreuses tendances clés affectant l'avenir du travail sont expliquées par de nombreux experts. Dans son document stratégique, CICOPA se concentre davantage sur quatre catégories interdépendantes de questions :

  • le changement technologique et l'économie de la connaissance,
  • l'évolution des tendances démographiques, sociétales et environnementales,
  • la mondialisation et la désindustrialisation,
  • l'impact de la réorganisation du travail sur les conditions de travail, l'inégalité et la protection sociale. Nous croyons que les coopératives industrielles et de services pourraient, dans une certaine mesure, répondre à ces questions.

L'automatisation est-elle une menace réelle ou pourrait-elle offrir de nouvelles possibilités aux coopératives?

Nous devons distinguer différents types de coopératives. Pour les coopératives de consommateurs, les coopératives financières et d'autres coopératives d'utilisateurs, l'automatisation serait une bonne occasion d'améliorer leurs services aux membres. Si ces coopératives n'adoptaient pas l'automatisation pour certains services elles pourraient même perdre leur compétitivité sur le marché. Cependant, le choix de l'automatisation soulèverait des problèmes difficiles en ce qui concerne leurs travailleurs. La situation n'est pas si différente de celle des entreprises traditionnelles. Les coopératives devraient trouver des solutions optimales entre la défense de l'intérêt de leurs membres et de celui de leurs travailleurs Pour les coopératives de travail associé, les approches peuvent être différentes. Les travailleurs-membres ne seraient pas toujours satisfaits de l'automatisation qui pourrait menacer directement leur emploi. Cependant, pour être compétitifs sur le marché, ils doivent rattraper en permanence leur retard sur le développement technologique. De nombreuses coopératives de travail associé n'hésitent pas à investir dans l'automatisation de leurs processus de production et de prestation de services. En même temps, nous avons observé que les coopératives de travail associé dont le but principal est de créer et de maintenir les emplois de leurs membres ont pour cela essayé de se diversifier dans des activités nouvelles ou connexes.

Bref, il est difficile de dire que l'automatisation serait bonne ou mauvaise mais c'est un véritable défi que toutes les coopératives doivent relever pour trouver leurs propres solutions.

Les coopératives sont-elles mieux outillées pour faire face à ces défis?

Je ne pense pas que les coopératives en général soient mieux outillées pour faire face à ces défis. Les défis au niveau sociétal affectent toutes les formes d'organisations et tous les individus. Si quelqu'un avait assez d'argent pour investir dans de nouvelles activités et pour développer un nouveau modèle d'entreprise, nous pourrions dire qu'il serait mieux équipé pour affronter avec succès ces situations incertaines. Mais ce n'est pas toujours le cas pour les coopératives.

Je pense que la nature même des coopératives, qui sont basées sur des personnes qui rencontrent des problèmes mais qui sont également capables de leur trouver des solutions appropriées à partir de ce qu'elles ont entre les mains, pourrait donner un avantage certain aux coopératives par rapport aux entreprises traditionnelles. Leur gouvernance démocratique et leur appropriation pourraient également renforcer cette nature pour produire des solutions plus solides. Cependant, cela signifie aussi que les coopératives auraient tous les inconvénients de leur nature, par exemple, des réactions lentes envers les agressions externes, des attitudes conservatrices de leurs membres, le manque d'aventures entrepreneuriales... Le vrai défi des coopératives aujourd'hui serait de savoir comment elles pourraient maximiser les avantages en fonction de leur nature tout en en minimisant les inconvénients afin de pouvoir prouver la pertinence du modèle coopératif face à ces défis. Elles pourraient également réussir en suivant les modèles d'entreprise classiques en abandonnant leur nature. Cependant, serait-ce un réel succès?

Quels changements faudrait-il apporter à la législation sur les coopératives pour que le secteur reçoive le soutien nécessaire?

L'un des points importants qui explique le succès des coopératives dans certains pays, tels que l'Italie, l'Espagne et la France, est que la création d'un niveau suffisant de réserves indivisibles est imposée par les législations coopératives. En accumulant des réserves indivisibles, les coopératives pourraient être plus résilientes en temps de crise (pour plus de détails, voir).

Au-delà des performances économiques, il faut également souligner que les réserves indivisibles renforcent le sens de la communauté et des biens communs dans la coopérative, ce qui se poursuivra même au fil des générations. De ce point de vue, la coopérative ne serait pas simplement considérée comme un outil économique pour maximiser l'intérêt des membres mais aussi comme un atout social précieux pour leur communauté élargie. Ce repositionnement qui pourrait se produire non seulement dans la mentalité des membres mais aussi dans les points de vue des autres partenaires sociaux permettrait aux coopératives d'être reconnues comme l'atout commun de leur communauté locale. De cette manière, le soutien nécessaire de l'État ou d'autres acteurs serait mieux justifié et amélioré en conséquence.

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